La célèbre marque de vente par correspondance, destinée à l’origine aux enseignants, a failli mettre la clé sous la porte à la fin des années 2000. Aujourd’hui concentrée sur la vente en ligne de mobilier, elle est la seule, parmi ses concurrents français (La Redoute, CDiscount, …), à réaliser du bénéfice. Que s’est-il passé en dix ans pour que la société reprenne le chemin de la rentabilité ? Sa réussite tient en trois mots : Made In France. Au prix d’un revirement total de stratégie commerciale, et en misant sur des produits de haute qualité, produits localement, la Camif a finalement réussi le tournant du numérique. 

Une coopérative résolument française

En pleine après-guerre, c’est Edmond Proust, enseignant et résistant, fondateur de la MAIF – Mutuelle Assurance des Instituteurs de France -, qui crée la Camif. L’entreprise de vente par correspondance, montée en coopérative en 1949, devait permettre aux professeurs et instituteurs de s’équiper rapidement. 50 ans plus tard, la Camif s’est construite une renommée nationale. Qui ne se souvient pas avec nostalgie des catalogues reçus par La Poste ? En 2006, l’entreprise est le troisième vépéciste sur le marché français avec 640 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pourtant, ayant accumulé une dette importante (plus de 100 millions d’euros), elle est mise en redressement judiciaire deux ans plus tard. Son fief de toujours, la ville de Niort, retient son souffle : 568 emplois sont menacés tout comme l’équilibre économique de la région. Son salut viendra en la personne d’Emery Jacquillat. Alors PDG du groupe Matelsom, spécialisé dans la confection de matelas et fournisseur de la Camif, celui-ci prend le pari du rachat de la société en faillite. Pour cela, il réalise un travail de longue haleine. Il se rapproche de la présidente de région de l’époque, Ségolène Royale, pour qu’elle accepte de se porter garante. Il convainc plusieurs banques de lui accorder des emprunts alors que la crise des subprimes bat son plein. Pour finaliser le montage financier, il se sépare de certaines filiales de l’entreprise, qui ne l’intéressent pas, en leur trouvant des repreneurs. Sauvée de justesse, la Camif est alors prête à prendre le tournant du numérique, jusque-là impossible…

L’exemplarité écologique, sociale et économique en fer de lance

La vente par correspondance, très populaire dans les années 60 à 90, n’est plus adaptée en 2010 pour permettre à la Camif d’être compétitive sur son marché. La production de son catalogue coûte 40 millions d’euros chaque année. De plus, ce système présente l’inconvénient majeur de geler les prix pendant plusieurs mois. Devant les nouveaux géants de la vente en ligne, Amazon en tête, la Camif ne fait plus le poids. Mais Emery Jacquillat, son repreneur, a une stratégie bien en tête pour redresser la société. Il prend des décisions radicales : abandon de la vente par correspondance pour se concentrer sur la vente en ligne, réduction des effectifs pour se focaliser sur une soixantaine de collaborateurs… 

Mais c’est dans des changements bien plus profonds que réside la réussite de cette reprise. Pour reprendre sa place sur son marché, très concurrentiel, le nouveau PDG du groupe décide d’un changement de cap radical. Emery Jacquillat l’a compris : pour être pérennes, les entreprises doivent désormais construire leur croissance sur le long terme. La Camif choisit alors de redonner du sens à son catalogue : fabricants locaux, en grande majorité français, produits respectueux de l’environnement, durables et de haute qualité… C’est aujourd’hui affiché en gras sur le site internet de la marque :

“Pour promouvoir une consommation responsable créatrice de sens et de lien, la Camif prend le parti de la production française comme axe transversal de sa stratégie.”

Interviewé par le blog Let’s Go France, l’entrepreneur fils de bonne famille se révolte contre ceux qui pensent que le Made In France coûte trop cher. “ Il faut arrêter de regarder le prix de référence comme étant le prix le plus bas : celui-ci, en réalité, est énorme en termes social et environnemental ; il est aussi faussé parce que les produits concernés, de mauvaise qualité, doivent être renouvelés plus souvent.” La Camif investit sur le long terme. Dès 2017, la société fait écrire dans ses statuts sa mission. En 2019, avec l’adoption de la loi PACTE, le terme “d’entreprise à mission” devient officiel et la Camif sera la première à en bénéficier officiellement. La mission de la Camif ? Déclinée en 5 objectifs depuis 2020, on la retrouve sur leur site internet : “Proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéfice de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation.

Se réinventer en ancrant ses valeurs

Le pari est réussi pour l’entreprise tricolore. Aujourd’hui, avec 95 fabricants français, c’est 73 % du chiffre d’affaires de l’entreprise qui est réalisé avec plus de 8000 produits Made In France. Et la Camif soutient ses fournisseurs. Force de conseil, Emery Jacquillat n’hésite pas à préciser que les fabricants qui “ont investi dans des machines et hyper optimisé leur chaîne de production sortent des prix tout à fait compétitifs par rapport aux Chinois”. Le dirigeant va encore plus loin : il s’est récemment engagé, auprès du Tribunal de commerce, à passer des commandes à un de ses fournisseurs en redressement judiciaire. Une façon d’appuyer son engagement pour un mobilier français, de qualité, rentable. Les engagements sociétaux du groupe sont eux aussi tenus. Une étude d’empreinte économique, réalisée en 2016 via l’outil Footprint (local lui aussi), a révélé que tous les 250 achats réalisés sur le site Camif.fr, un emploi est créé en France. 

La mission et les engagements de la marque sont affichés clairement dans toutes ses communications. Véritable facteur de fidélisation de ses clients, la Camif met en avant le Made In France et ses avantages économiques, qualitatifs et environnementaux pour les consommateurs. Ainsi en 2013, le site lance le mouvement #CfaitOù. De manière totalement transparente, on retrouve sur chaque fiche produit le lieu de fabrication, le nombre d’emplois du fabricant, avec la provenance des principaux composants et le nombre de kilomètres parcourus jusqu’à l’usine. Certains fournisseurs ont même droit à une vidéo réalisée au sein de leurs usines de fabrication. 

La Camif communique également via des actions fortes et engageantes. Depuis 2017, l’entreprise boycotte le Black Friday. Grande messe de la vente en ligne, notamment dans le secteur du mobilier, cet événement pourrait représenter jusqu’à plusieurs millions de bénéfices pour certains mastodontes du secteur… Mais pour Emery Jacquillat, cet argent cache des pertes bien plus grandes. Le site de la Camif est désormais fermé en période de Black Friday, renvoyant sur des associations de type Emmaüs.  Ses prises de positions ont amené la Camif dans le top 10 des meilleurs « BCorp » au monde, une certification indépendante récompensant les entreprises qui allient profit et impact positif, représentant ainsi des leviers sociétaux de transformation.

Un exemple inspirant qui montre que la stratégie du Made In France est porteuse de sens pour les consommateurs et donc vecteur de croissance pour les entreprises françaises.

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Sources et approfondissement :
Made In France – La Consommation Responsable – Camif.fr
« Made in France », web… Comment la Camif est devenue branchée – Capital 
Camif : le pari du Made In France – Let’s Go France
Camif : une “entreprise à mission” à la française – Camif.fr
Camif interpelle sur le “Made In France” – Camif.fr
La Camif renaît grâce au Made In France – Entreprendre.fr