L’industrie du vélo est en pleine croissance depuis plusieurs années maintenant. Mais la crise sanitaire y a joué un véritable rôle de catalyseur. L’engouement décuplé des français pour ce mode de déplacement a engendré une explosion des ventes de vélos que les professionnels du secteur n’avaient même pas envisagé. A tel point que certains industriels saisissent l’occasion de repenser leur production, comme les Cycles Mercier, grand nom du vélo français, qui relocalisent un site entier dans les Ardennes. Made In France, relocalisation par étapes, réparabilité… Tour d’horizon des enjeux de demain pour l’industrie du vélo en France.

industrie du vélo made in france

Un engouement inattendu, formidable levier marketing

Tout le monde n’a pas souffert de la crise sanitaire et économique. C’est le cas du secteur du vélo. Ce mode de déplacement était déjà de plus en plus plébiscité par les français, dans un souci de préservation de l’environnement d’abord. Mais depuis l’épidémie de Covid-19, l’ampleur du phénomène est tout autre. Acte écologique, économique, il devient désormais rassurant de se déplacer à vélo, en évitant ainsi les transports en commun bondés et source de propagation du virus. 

Le marché du vélo se porte très bien : depuis 2017, le chiffre d’affaires du secteur affiche une hausse de 13% chaque année, pour représenter 2,33 milliards d’euros en 2019. Cette même année, le prix moyen d’un vélo neuf atteignait les 566 euros, soit plus de deux fois la valeur de 2015. Les vélos à assistance électrique (VAE) gonflent ces statistiques : ils représentent aujourd’hui 45% des ventes en volume (chiffres Le Monde). Au niveau local les mêmes tendances sont constatées. Pour exemple, la société Eovolt, qui commercialise des VAE, implantée initialement dans le Cher, a dû déménager en périphérie lyonnaise en 2019 pour de plus grands locaux et gérer ainsi la croissance prévue sur 2020 : une multiplication de son chiffre d’affaires par deux, atteignant ainsi les 4 millions d’euros (L’Usine Nouvelle).

Le vélo plaît et se vend bien. Pour décupler ce levier marketing, nombreux sont les industriels qui veulent aller plus loin en mettant en avant des produits français. Le cycle estampillé “Made In France” est en effet un moyen imparable de séduire les acheteurs. Une empreinte écologique encore réduite, un gage de sobriété, et la garantie du maintien de l’emploi local : autant d’arguments phares à mettre en avant. 

Une relocalisation à mener par étapes

Les industriels du secteur jouent alors le pari du vélo “fabriqué en France”. Cela implique une relocalisation pour bon nombre d’acteurs. Concernant les vélos et leurs pièces détachées, la part de la valeur créée en France est encore minoritaire : 25 % seulement en 2020 selon l’Ademe. Mais la relocalisation doit se faire par étapes. En effet, le vélo est un produit complexe : métaux variés, plastiques, tissus, caoutchouc, et même matériel électronique pour les VAE. L’Asie domine le marché et les marques fabriquant en France doivent encore importer les pièces via plusieurs fournisseurs. Cet assemblage ne doit pourtant pas être négligé, il crée de la valeur ajoutée et “contribue à la fondation d’un écosystème industriel”, pour reprendre les mots de Stéphane Grégoire, dirigeant de Reine Bike, marque de cycle fabriqués en Vendée.

Pour la plupart des industriels, la conception a toujours lieu en France. Mais il s’agit bien de se poser la question de la relocalisation de la production. La pandémie due à la Covid-19 a provoqué une envolée des délais et des coûts de transport. L’approvisionnement français, ou a minima européen devient incontournable. La France pourrait ainsi s’inspirer du Portugal, ou la vallée d’Agueda est désormais surnommée la “vallée du vélo”. L’industrie s’y est développée et on y trouve aujourd’hui des fabricants de selles, de roues, de pédaliers, et même le seul fabricant européen de cadres en aluminium. Un phénomène inspirant pour les industriels français, comme le cofondateur de Douze Cycles, Thomas Coulbeaut. Son entreprise dijonnaise planche actuellement sur la relocalisation en Europe de sa production. Pour pouvoir fabriquer les cadres de ses vélos, il le sait : “il faudrait inventer de nouvelles méthodes, de nouveaux matériaux”.

Un bouleversement des pratiques nécessaire, mais progressif. L’exemple de la maison Mercier, grand nom du cycle français est parlant. Le groupe a annoncé dernièrement son retour en France, après des années de délocalisation vers l’Asie. L’implantation est prévue dans les Ardennes, sur l’ancien site des usines Porcher. La marque ne souhaite pas garantir immédiatement des vélos 100 % locaux. Mais la volonté est affichée clairement : sourcer des fournisseurs locaux et tisser un véritable réseau industriel local. Le PDG du groupe, Jean-Marc Seghezzi, l’affirme lui-même : “ L’idée est qu’à court terme, on fabrique les principaux composants.

Des investissements nécessaires pour relancer tout un écosystème économique local

Le cas du retour en sol français des cycles Mercier illustre parfaitement la tendance de relocalisation de ce secteur. Historiquement, la maison mère était basée à Saint-Etienne. A son apogée dans les années 60, elle équipe les grands noms du Tour de France. La production s’était délocalisée progressivement en Asie. Mais le groupe a toujours suivi les tendances et les opportunités de développement. Après sa gamme de VAE lancée en 2019, elle signe maintenant son retour à une production française. Tout comme les autres industriels du secteur, la maison a vu les coûts d’importation s’envoler. Une augmentation accompagnée de la mise en place de tarifs douaniers européens antidumping : les vélos bas-de-gamme venus d’Asie sont désormais fortement taxés pour protéger le marché européen. 

Les Cycles Mercier misent sur le Made In France au prix d’un fort investissement. Pour s’installer sur l’ancien site industriel de Revin, le groupe investit 2,4 millions d’euros sur un budget global de 13 millions. Le prix à payer pour réaménager, notamment, un bâtiment de 15.000 m2, en usine et showroom. L’objectif annoncé : produire au minimum 500 000 cycles par an, dont 15 à 20 % d’électriques haut de gamme. Pour atteindre ces chiffres, deux lignes de montage complètement autonomes de 80 mètres de long seront installées. Dès la production des premiers vélos, le PDG l’annonce : “Nous ferons de la soudure de cadres, de la peinture, du stickage et de la fabrication de jantes”. Des investissements soutenus par les acteurs publiques. Le montage financier de la relocalisation des Cycles Mercier est appuyé par l’Etat, la région Grand Est, l’Europe et la communauté de communes Ardennes Rives de Meuse. Cette dernière met notamment gratuitement à disposition du groupe le bâtiment à rénover. Pour ce qui est de la participation de l’Etat, elle s’élève à 800 000 euros, au titre du fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires, et à deux aides de 200 000 et 300 000 euros pour accompagner la formation professionnelle et dans le cadre du plan France relance. Tous les acteurs du projets misent gros, mais les retombées économiques et sociales locales seront bénéfiques. 140 emplois seront créés à l’ouverture du site et jusqu’à 270 emplois sont prévus. Des sous-traitants locaux seront sollicités, pour fabriquer les cadres et les jantes en acier et en aluminium. Dans une région où le taux de chômage atteint les 27% de la population, la relocalisation des Cycles Mercier est attendue par tous. Au micro d’Europe 1, un habitant de Revin, Smaïn, 27 ans, sans emploi, exprimait son soulagement. “ Ça met du baume au cœur à tout le monde, avec les entreprises qui ont fermé et tout. Franchement, moi, j’aimerais bien postuler. Ça serait une bonne opportunité », déclare-t-il.

De nombreuses pistes de développement pour l’industrie du vélo durable

D’autres exemples de relocalisation fleurissent dans l’industrie du vélo. On peut même voir des industriels d’autres secteurs s’y intéresser. C’est le cas de SEB, dont nous vous parlions dans un précédent article. Le géant de l’électroménager n’a pas peur de se diversifier et d’attaquer un marché qu’il ne connaît pas, en misant sur un vélo à assistance électrique Made In France, dont la commercialisation est prévue cet été.

Les industriels devront aussi aller chercher du côté de la réparabilité. Boosté par le dispositif Coup de pouce vélo, la réparation des vélos a le vent en poupe. Cette aide, mise en place par l’État, permettait jusqu’au 31 mars dernier de bénéficier d’une aide financière de 50 € pour la réparation de son vélo ou pour des conseils pour une remise en selle. Le succès a été inattendu : un million de réparations ont été effectuées, contre 300 000 espérées ! Une situation qui a provoqué une pénurie de réparateurs. La filière recrute donc, et une “Académie des métiers du vélo” a vu le jour, annoncée à l’automne dernier par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique. Caroline Martinez, cheffe de projet à la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette) témoignait alors : « Face à l’explosion de la demande de réparations, il fallait former rapidement des opérateurs de cycles pour aider et soulager les mécaniciens réparateurs débordés.” La formation proposée dans plusieurs grandes villes s’étale sur 20 jours, soit 140 heures, et l’objectif fixé est la formation de 1 250 réparateurs en 2023. 

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Le retour des Cycles Mercier en France n’est donc clairement pas anecdotique. La filière vélo française est en plein renouveau et les industriels sauront prendre ce cap. Si la relocalisation doit être progressive et les pratiques réinventées, il est clair que le pari est gagnant. Les consommateurs seront au rendez-vous comme les créations d’emploi et de valeur.

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Sources et approfondissement :
Le vélo « made in France », une lente renaissance – Le Monde
Le vélo Made In France a le vente en poupe – L’Usine Nouvelle
La florissante “vallée du vélo” portugaise – Le Monde
Relocalisation : les cycles Mercier vont renaître dans les Ardennes – Le Parisien
Ardennes : les Cycles Mercier se relocalisent à Revin avec 270 emplois à terme – France 3 Grand Est
13 millions d’euros investis, 270 salariés à recruter… Comment les Cycles Mercier comptent relocaliser à Revin – L’Usine Nouvelle
Quand une célèbre marque de vélos relocalise sa production de l’Asie aux Ardennes – Europe 1
SEB – Durabilité et production française, le pari sur l’avenir de la marque d’électroménager – Perspectives Industrie
Angell, le vélo électrique français sera fabriqué en France par le groupe Seb – Les Numériques
Comment SEB, roi des friteuses, va aider Angell à produire son vélo électrique français – 01.Net
La tendance à la réparation est si forte qu’elle met sous tension le métier de réparateur – Novethic
Remis en selle par le Covid-19, les métiers du vélo ont leur Académie – L’Etudiant