Dès le 1er janvier 2021, les fabricants d’appareils électriques et électroniques auront l’obligation de faire apparaître sur leurs produits un indice de réparabilité. Et dès 2024, un indice de durabilité sera également demandé. L’objectif est double dans les deux cas : mettre à disposition des particuliers une information complète et claire, les incitant à ajuster leur mode de consommation ; et modifier en profondeur les habitudes des industriels, leur mode de production et même de conception. La réparabilité et la durabilité font aujourd’hui partie des critères d’achat principaux pour le petit et gros électroménager. Zoom sur les solutions à la portée des industriels et des consommateurs pour intégrer ces facteurs dans leurs pratiques et habitudes de consommation.

Le marché de l’électroménager prochainement bousculé par la réglementation

Le marché de l’électroménager français pèse lourd : en janvier 2018, le Gifam (Groupement des marques d’appareils pour la maison) estimait que 15 millions d’appareils de gros électroménager et 46 millions d’appareils de petit électroménager sont vendus en France chaque année. Soit un marché de 7,7 milliards d’euros en chiffres d’affaires. Pourtant, c’est ce secteur qui a porté à la connaissance du grand public la notion d’obsolescence programmée il y a quelques années. La défiance des consommateurs envers les fabricants d’appareils électroménagers est aujourd’hui au plus haut niveau. Une industrie également considérée comme polluante. Un français jette en moyenne 20 kilos de déchets électroménagers chaque année. L’exemple des smartphones est le plus frappant : 70 kilos de matières premières sont nécessaires pour fabriquer un seul appareil, qui finira jeté à cause d’un seul composant défectueux dans trois cas sur quatre… (chiffres Les Echos).

C’est dans ce contexte qu’a été adoptée, le 10 février 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Dans le texte, une mesure concerne tout particulièrement l’industrie de l’électroménager. Il s’agit de la mise en place des indices de réparabilité et de durabilité.

Le premier, l’indice de réparabilité, dont l’affichage sera obligatoire en janvier prochain, indiquera si un appareil est facilement réparable ou non. Un score, sous forme d’une note de 1 à 10, sera attribué à chaque produit. Pour cela, plusieurs critères seront étudiés : l’appareil est-il facilement démontable et remontable ? ; les notices de montage sont-elles accessibles facilement ? ; les pièces détachées sont-elles disponibles, combien de temps et à quel prix ?.

L’indice de durabilité devra, lui, être obligatoirement disponible pour les consommateurs en janvier 2024. Ce second outil ira plus loin que le précédent. En effet, “Un produit qui peut se réparer, c’est bien ; un produit qui dure, c’est mieux !” (HOP, Halte à l’Obsolescence programmée). Pour attribuer ce score, il s’agira d’évaluer : la qualité des matériaux et la solidité des composants utilisés ; la disponibilité du service après-vente; la facilité et la durée d’accès au support technique et aux pièces détachées ; le nombre d’années pour lesquelles le fabricant s’engage à fournir des mises à jour.

Infographie : Perspectives Industrie, décembre 2020.

Grâce à la mise en place de ces deux indices, le gouvernement veut inverser la tendance : 40% seulement des pannes de produits électriques et électroniques sont aujourd’hui réparées (selon une étude de l’Ademe, Agence de la transition écologique), l’objectif est d’atteindre les 60% d’ici cinq ans.

Certains industriels ont pris les devants en matière de durabilité

Si janvier 2021 sonne l’entrée en vigueur de l’affichage obligatoire de l’indice de réparabilité, certains industriels proposent déjà des outils pour aider les consommateurs à acheter de l’électroménager durable. 

Depuis trois ans, Darty et Fnac proposent par exemple un Baromètre du SAV. Le service après-vente du groupe se positionne comme le premier réparateur de France : 2000 techniciens y réparent 1,5 millions de produits chaque année. Une mine d’or d’informations récoltées, que le Darty a décidé de rendre publique pour permettre aux consommateurs de faire un choix éclairé lors de l’achat d’un appareil électroménager ou multimédia. Après une enquête auprès de plus de 66 000 clients et l’étude de près de 625 000 dépannages, le troisième Baromètre du SAV a été présenté aux Assises de l’économie circulaire organisées par l’Ademe en septembre dernier. L’outil permet aujourd’hui au consommateur de visualiser, pour 63 catégories de produits (des cafetières aux barres de son), un score de durabilité, ainsi qu’un podium des marques présentant les meilleurs résultats de durabilité dans chaque catégorie. L’objectif mis en avant par Régis Koenig, Directeur de la Politique Services Fnac-Darty, est que les consommateurs puissent “identifier facilement les produits les plus durables”. L’outil élaboré par le groupe donne un regard riche d’enseignement pour le secteur de l’électroménager. Si la durabilité moyenne des produits reste stable, elle a tout de même progressé légèrement : l’indice global est passé de 100 en 2018 à 105 en 2019. Les fabricants ont notamment fait des efforts sur la durée de disponibilité des pièces détachées qui est passée de 7 à 10 ans en moyenne, assurant une plus grande réparabilité aux produits.

Le groupe a donc devancé la réglementation et les résultats ne se font pas attendre chez les fabricants : Régis Koenig précise d’ailleurs que “les marques hors du podium contactent Fnac Darty pour s’améliorer”. Une influence française qui a des conséquences à l’international. Des groupes étrangers ont contacté Darty pour “avoir plus d’informations sur le baromètre et explorer des pistes pour améliorer leur score”. Là où les normes techniques peuvent limiter les investissements des fabricants en matière de durabilité, l’industriel français a réussi à inciter les groupes étrangers à questionner leurs politiques de conception. Et pour cause : en magasin, une sélection “Choix Durable” est proposée aux clients, mettant en évidence les produits “les plus fiables et les plus réparables”, avec un effet direct sur la consommation des produits mis en avant. Ces derniers peuvent voir leurs ventes multipliées par 4 à 10 selon la catégorie ! Un argument marketing imparable et les industriels l’ont bien compris. Sur son site, le groupe Darty n’hésites pas à lister noir sur blanc les marques obtenant les meilleures scores de leur catégorie.

De tels classements, comme la réglementation à venir, demandent de réinventer jusqu’à la conception même des produits, c’est là que tout se joue en termes de durabilité. Concevoir durable, c’est concevoir réparable, et le studio de design Aod (Agency of Design) l’illustre avec l’exemple d’un grille-pain. Le slogan de l’objet : “Tellement simple qu’il n’y a rien à casser”. L’appareil est en aluminium, un matériau 100% réutilisable, conçu pour être le plus simple possible, sous la forme de modules à assembler. Si la grille-pain tombe en panne, on peut ne changer que la partie défectueuse. Fabriqué sans colle et avec des joints sensibles à la température ou à la pression, l’objet est démontable facilement. En France, SEB, dont nous traitions dans un précédent article, fait figure d’exemple : avec des pièces de rechanges fabriquées par millions ou imprimées en 3D, la marque assure la réparabilité de 97% de ses produits (dont 67% totalement). Autre exemple, le site iFixit, qui propose depuis plusieurs années des tutoriels pour remplacer soit même les pièces défectueuses de ses appareils multimédia, veut désormais proposer son expertise aux industriels pour concevoir des produits durables. Déjà associé à des marques comme HTC ou Motorola, le site propose de devancer la réglementation pour convaincre les consommateurs : “Un produit de qualité fidélise les clients” affiche iFixit. Le site met à disposition des industriels “un rapport technique pour évaluer le montage et la conception industrielle d’un produit en vue de sa réparabilité” et des bases de référence et de comparaison de produits.

La durabilité à la portée des consommateurs 

Si les fabricants s’emparent de la question de la durabilité, les solutions sont aussi entre les mains des consommateurs et des services innovants existent en la matière. Rappelons dans un premier temps que la durée de la garantie légale est de 2 ans pour tous les produits électroménager et multimédia. En dehors de ce délai légal, vous pouvez encore faire réparer vos appareils. La start-up Murfy, lancée en 2018, a constitué sa propre équipe de réparateurs et propose un business-model unique dans son secteur, le “premier business circulaire dans l’électroménager”. Le client paie un forfait de 75 euros comprenant l’ensemble des interventions nécessaires (déplacements et main d’œuvre compris). Si une pièce est à changer, elle est proposée au meilleur prix. Et si l’appareil n’est pas réparable ? Cela arrive pour 6% des cas seulement, et le client est alors remboursé sous forme d’un avoir sur le site qui propose des produits reconditionnés dans ses ateliers. La start-up estime que sur les 28 millions d’appareils électroménagers qui tombent en panne chaque année, 5 millions seulement sont réparés. Soit près d’un million de tonnes de déchets générés. Le Président de Murfy, Guy Pezaku, explique qu’un appareil sur deux est dépanné sans avoir besoin de changer des pièces”.

Réparer soi-même reste également une option. C’est ce que veut favoriser Spareka. Le site propose des pièces détachées sur de multiples références, et est avant tout une plateforme d’accompagnement à la réparation. Avec un outil de diagnostic pour tous les appareils électroménagers et multimédia, l’utilisateur se laisse guider par des conseils d’experts, trouve l’origine de sa panne et les réparations possibles. Des conseils en visio avec un réparateur sont possibles. Le fondateur de la plateforme, Geoffroy Malaterre, précise : «Nous voulons que l’écosystème de l’auto-réparation se développe. Nous avons lancé un forum pour créer une communauté de consommateurs qui pourront répondre à des questions et se conseiller les uns les autres ». Totalement gratuit, le service est désormais rentable grâce à la revente des pièces détachées, malgré une offre inédite, “réparé ou remboursé”. Si les pièces achetées sur le site ne permettent pas de réparer l’appareil dysfonctionnel, Spareka les remboursent intégralement, sans conditions ! Un coup de pouce non négligeable à l’auto-réparation.

Ainsi, si les industriels sont contraints par la loi de concevoir des appareils durables, le changement est aussi dans les mains des consommateurs. Régis Koenig souligne que “2 lave-linge sur 3 sont achetés après une panne non réparée, [alors que] les lave-linge font partie des produits les plus réparables”. Les habitudes doivent donc changer pour chacun, y compris en termes d’utilisation des appareils. L’entretien est particulièrement nécessaire pour les appareils utilisant de l’eau par exemple. Darty rappelle à ce sujetqu’il est nécessaire de lire les notices pour entretenir correctement [ses] appareils”. 

n

Sources et approfondissement
Groupement des marques d’appareils pour la maison – Gifam
Pour une Europe des produits durables et réparables – Les Echos
Les indices de réparabilité et de durabilité figureront sur nos appareils en 2021 et 2024 – Blog-Alterno.com
Loi anti-gaspillage : des indices de réparabilité et de durabilité à venir – HOP
Antigaspillage : un indice de « réparabilité » en 2021, et de durabilité en 2024 – SudOuest.fr
Baromètre du SAV Fnac Darty – LaboFnac.com
Fnac Darty – Interview de Régis Koenig – Le Club de la Durabilité
3ème Baromètre du SAV Fnac-Darty : nouveau design et inauguration d’un score de durabilité – Neomag.fr
Durabilité et fiabilité des produits s’améliorent selon le baromètre Fnac Darty – LSA-conso.fr
Baromètre du SAV – À quelles marques faire confiance ? – Darty
Concevoir réparable – Controverses Mines Paris Tech
Les produits réparables, c’est une bonne chose – iFixit
iFixit veut aider l’industrie à créer des gadgets plus réparables et durables – Les Numériques
Murfy: le service de réparation d’électroménager à domicile – Challenges
Murfy – Welcome to the Jungle
Electroménager : Murfy aide ses clients à réparer – Les Echos
Spareka, la plateforme qui vous apprend à réparer – 20 Minutes