La crise sanitaire mondiale à laquelle nous faisons face actuellement est une opportunité de repenser nos modes de production industriels. D’après la Harvard Business Review, les entreprises faisant des produits plus simples seront, à l’avenir, les plus rentables. Certaines sociétés ont déjà pris cette direction. C’est le cas notamment de Dacia, qui a décidé de repenser le marché de l’automobile.
Logan, Kwid, KZE ou encore Spring, ces modèles sont tous conçus pour répondre directement au besoin des clients. Innovation frugale ou design to cost sont une partie des clés de la réussite de la marque Dacia. Voici de quoi vous inspirer.
Dacia, en quelques mots
Constructeur automobile roumain, Dacia est racheté en 1999 par Renault. Grâce à une grande usine roumaine, tournant à bas coût, le groupe français saisit l’opportunité de se lancer dans le low-cost. S’en suivront plusieurs gammes à succès. A commencer par la Logan, lancée en 2004 pour un prix de vente démarrant à 5 000 €. Plus récemment, la Kwid a vu le jour et prochainement, la Spring, petite urbaine 100 % électrique. Les chiffres illustrent le succès de la marque : entre janvier et septembre 2018, les ventes Dacia représentaient près de 40 % des ventes totales du groupe Renault. Quel est le secret de cette réussite ?
L’idée initiale : (re)partir des besoins clients
Lors de son rachat, Renault a un objectif clair pour Dacia : conquérir les marchés des pays émergents. Les conditions de vie s’y améliorent à vitesse croissante et l’acquisition de voitures neuves y est désormais possible pour toute une tranche de population. Or, avant Dacia, les constructeurs automobiles visant ce type de marché usaient de la même technique. Partir des modèles existants, conçus pour les marchés occidentaux, et en faire une version “low-cost”. Sans grand succès …
Mais c’est une autre approche qui est adoptée par Renault pour ce projet. Pour lancer son premier véhicule à vocation mondiale, la marque veut repartir des besoins réels des clients. Dans ces pays émergents, les consommateurs ont besoins de véhicule simple, à bas prix, leur permettant de se déplacer d’un point A à un point B, en famille. Et c’est sur ce changement de paradigme que la Logan est conçue.
La Logan, modèle de design-to-cost
Une petite voiture à un prix de départ de 5 000 €. Voilà le pari de la Logan à son lancement en 2004. Pour y parvenir, Dacia intègre les principes du Design-To-Cost (DTC), ou Conception à Coût Objectif (CCO). Cela implique d’intégrer au coeur du cahier des charges le coût objectif d’un produit dès sa conception,. Quatre leviers peuvent être soulevés pour atteindre cet objectif, selon les experts de Katalize :
- challenger les spécifications et le cahier des charges
- challenger les choix de conception, matériaux et procédés de fabrication,
- s’assurer d’acheter les composants auprès des meilleurs fournisseurs,
- et réaliser la fabrication, le montage et les essais au meilleur coût (industrialisation).
Le pari est relevé pour la Logan. Simplification de tous les éléments (tableau de bord en une seule et unique pièce par exemple) ; pièces conçues pour s’adapter indifféremment à la droite ou à la gauche du véhicule ; réutilisation d’éléments déjà existants sur d’autres modèles du groupe ; etc… Intégrer le prix de vente final du véhicule comme une donnée fixe dès le départ du projet à pousser les concepteurs de Dacia à modifier leur façon de concevoir et donc à innover. Le résultat est “good enough” : une qualité et une fiabilité satisfaisante, à un coût bien moindre que les autres modèles du marché.
Lancée sur le marché roumain, son succès est immédiat et s’étend jusqu’en France. A l’étranger, elle est revendue sur presque tous les continents, tantôt sous la marque Renault, tantôt sous la houlette Dacia. Pour pouvoir abonder les différents marchés demandeurs, plusieurs sites de production sont installés partout dans le monde. Russie, Maroc, Colombie ou encore Iran : la production n’est plus centralisée, autre manière de produire innovante en matière d’automobile.
Innovation fractale et frugale, la touche Dacia
La méthodologie de conception de la Logan est ensuite réutilisée et appliquée aux différents modèle Dacia. En 2015 est commercialisée la Kwid. Ce modèle, conçu en Inde pour le marché indien, repart lui aussi des besoins des consommateurs cibles, avec un prix fixé dès la conception (3 500 €). Ce projet a été beaucoup étudié et a donné lieu à la publication de nombreux articles de recherche en management industriel. Un livre a même vu le jour, Innover à l’envers : Repenser la stratégie et la conception dans un monde frugal, de Christophe Midler.
La conception de la Kwid permet de décrypter deux concepts inspirants :
- l’Innovation fractale
On l’a vu, Dacia a opéré une réelle rupture avec le modèle d’innovation automobile. Il ne s’agit plus de créer de nouvelles technologies novatrices, augmentant les coûts des nouveaux modèles. Le parti pris du design-to-cost, pour arriver à un modèle répondant vraiment aux attentes des clients, pousse à une nouvelle façon d’innover : l’innovation fractale.
Cette méthodologie, bien décrite par Christophe Midler dans son ouvrage, pourrait se résumer en une innovation dans toutes les strates de conception du modèle. On ne cherchera plus à créer une nouvelle option révolutionnaire, on cherchera comment repenser tous les éléments qui composent le véhicule. Cette innovation sur tous les plans vise à diminuer les coûts d’abord. Elle permet également de faire du “low-cost” sans lésiner sur la qualité et la fiabilité des produits. C’est ainsi que, par exemple, les roues de la Kwid ne sont composées seulement de trois boulons de fixation(contre quatre habituellement). Une flopée de petites innovations donc, qui permet une sensible réduction des coûts de production. Dans le cas de la Kwid, les usines elles-mêmes ont eu leurs propres innovations. A contre-courant des usines automobiles modernes des pays occidentaux, elles ont été dépourvues de murs ou de portes pour s’adapter au climat indien.
- l’Innovation frugale
Cette deuxième typologie d’innovation va souvent de pair avec la première. Elle est elle aussi liée au design-to-cost. L’innovation frugale pourrait être définie comme une innovation simple, comme son nom l’indique. Il s’agit d’être capable d’innover avec peu de moyens, de manière efficace et à bas coûts et en répondant strictement aux besoins énoncés. Issues des pays à faible ressources, l’innovation frugale est aujourd’hui utilisée partout dans le monde.
Dans le cas de Dacia, qui visent les consommateurs voulant payer “le juste nécessaire”, et dont les usines se sont déployées dans des pays émergents parfois peu industrialisés, l’innovation frugale était indispensable. Le développement des différents modèles a d’ailleurs nécessité une “une forte autonomie vis-à-vis de l’ingénierie de la maison mère qui conduit par exemple l’équipe projet à ne plus considérer aucune norme technique édictée comme acquise”. Les concepteurs Dacia se sont affranchis des normes de Renault pour innover de manière frugale.
Des concepts de production inspirants
Dès le début des années 2000, Dacia a donc insuffler une dynamique nouvelle dans le monde de l’automobile. Aujourd’hui les concepts de design-to-cost, d’innovation fractale ou frugale, sont repris et utilisés par de nombreux industriels, dans tous les domaines et sur tous les continents. Ces façons de repenser l’industrialisation sont à considérer de près dans un monde où les ressources se feront de plus en plus rares. Par ailleurs, les consommateurs sont désormais attachés aux concepts d’inclusion sociale, de durabilité, de développement durable, ou encore au Made In France… Qui nécessitent de revoir nos schémas industriels classiques pour produire localement, durablement, socialement et écologiquement.
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Sources et approfondissements
Pourquoi les entreprises doivent faire mieux avec moins – Harvard Business Review
Dacia, le coup de génie qui a transformé Renault – Les Echos
Le (re)Design To Cost, en bref – Katalize
Renault & Dacia Logan (2004) – L’arme dévoilée – Challenges
Innover à l’envers : Repenser la stratégie et la conception dans un monde frugal – HAL Archives Ouvertes
La Renault Kwid démontre qu’on peut innover sur les marchés émergents – Challenges
Innovation frugale : définition et principes – YouMatter
Une audace industrielle et commerciale : Dacia – Groupe Renault
Innover à l’envers : la Kwid, une innovation inversée de Renault-Nissan – Cime
Crédit photo : Groupe Renault
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